Chloroquine & COVID-19

October 25, 2020 — Support my next blog post, buy me a coffee ☕.

Contexte

Depuis mon retour en France, un sujet de conversation récurrent est bien évidemment la pandémie de la Covid-19. Et là, grosse surprise : beaucoup de gens autour de moi pensent toujours que l'hydroxychloroquine est, ou pourrait être, un médicament efficace contre la Covid-19. Ce qui est surprenant, c'est qu'aux États-Unis, la folie derrière l'hydroxychloroquine est terminée ! Mais pas en France.

Pour faire vite, l'hydroxychloroquine en France c'est un peu comme le réchauffement climatique aux États-Unis. D'un côté, il y a la (très grande) majorité des scientifiques, et les gens qui font confiance à la science. En France, ce sont ceux qui ont compris que l'hydroxychloroquine ne marche pas ; aux États-Unis, ce sont ceux pour lesquels le réchauffement climatique est bien réel.

De l'autre, une (minuscule) minorité de scientifiques, dont le Professeur Raoult, les gens qui se méfient de la science, et les adeptes de la théorie du complot [1]; ce sont ceux qui, en France, croient en l'efficacité de l'hydroxychloroquine et, aux États-Unis, doutent du réchauffement climatique.

Au milieu de ces deux groupes, il y a le reste : ceux qui écoutent les médias grand public et ne croient pas aux théories du complot, mais qui ne lisent pas forcément les médias anglo-saxons et les revues scientifiques spécialisées. Ce qui est surprenant c'est, qu'en France, les gens que j'ai rencontrés dans ce groupe-là sont plutôt optimistes vis-à-vis de l'hydroxychloroquine, alors que cela fait des mois que l'hydroxychloroquine est enterrée.

Bon, disons-le une bonne fois pour toute : le réchauffement climatique est bien réel et l'hydroxychloroquine ne marche pas. Pour le réchauffement climatique, il y a le site de la NASA. Pour l'hydroxychloroquine, il y a, à ce jour, au moins trois articles qui présentent des essais cliniques de grande ampleur qui l'ont prouvé. Les articles que je citerai ci-dessous ont été largement relayés dans les médias aux États-Unis, et probablement beaucoup moins en France. J'ai lu ces articles en détail [2]. Je présenterai les résultats dans la dernière partie, mais d'abord, essayons de comprendre ce qu'il s'est passé.

Comment en est-on arrivé là ?

Tout a commencé avec cet article d'un groupe de recherche en Chine, publié le 4 Février 2020. L'article présente des expériences in vitro (en laboratoire) pour lesquelles l'hydroxychloroquine et le remdésivir bloquent le SARS-CoV-2, le coronavirus responsable de la Covid-19. Ce type d'expériences consiste à utiliser des cellules (non humaines) en laboratoire, type Vero, à y injecter le virus, la substance active du médicament à tester, et à mesurer le taux de reproduction du virus après 48h. Ces tests-là ont été concluants pour l'hydroxychloroquine et le remdésivir, ce qui a stimulé la recherche in vivo (sur des patients) pour les deux.

À ce stade, tout ce qui est prouvé, c'est que l'hydroxychloroquine et le remdésivir sont efficaces quand le SARS-CoV-2 est injecté en laboratoire dans des populations de cellules qui proviennent de cellules de rein extraites d'un singe vert africain. Bref, on est très loin d'un médicament efficace dans le corps humain.

Ensuite, il y a eu cet article du Professeur Raoult et de son équipe, en ligne depuis le 17 Mars 2020 et publié en Juillet 2020. C'est un essai de très petite taille (20+16 participants), sur des patients hospitalisés, dont le résultat est un test PCR chaque jour lors des six jours de soin. Les patients sont relativement jeunes, présentent des cas peu graves, et ont tous survécu [3]. Les résultats sont répertoriés dans le tableau ci-dessous.

Groupe avec hydroxychloroquine (N=20) Groupe contrôle (N=16)
Âge 51.2 ± 18.7 37.3 ± 24.0
Sexe 45.0% H 37.5% H
Ethnicité Non renseigné Non renseigné
Antécédents Non renseigné Non renseigné
Négatif à 6 jours 100% 12.5%

Ce sont des résultats encourageants, mais qui ont de nombreuses limites ; l'essai du Professeur Raoult ne suit pas la méthode scientifique qui permet de garantir l'efficacité d'un médicament, que j'explique brièvement maintenant.

Comment tester l'efficacité d'un médicament ?

D'abord, il faut utiliser un grand nombre de patients pour réduire au plus possible le facteur chance, au moins 500, et généralement plusieurs milliers.

Ensuite, il faut diviser ces patients en deux groupes aux caractéristiques similaires (âge, sexe, ethnicité et antécédents médicaux) : un groupe auquel sera donné le médicament, en plus des soins habituels, et un autre groupe qui ne recevra que les soins habituels.

Enfin, pour éviter l'effet placebo, il est essentiel que les patients ne sachent pas si le médicament leur a été administré. Les essais cliniques vont même plus loin, et sont « doublement aveugles » : les équipes médicales qui apportent les soins habituels aux patients ne savent pas non plus si le patient a reçu le médicament, l'idée étant de se défaire de tous les biais possibles.

On voit bien ici les limites des essais de l'équipe du Professeur Raoult : nombre de patients bien trop faible, groupes aux caractéristiques différentes, manques d'informations sur les patients (ethnicité et antécédents médicaux), et pas de « double aveugle ». En bref, l'essai clinique du Professeur Raoult n'a aucune valeur scientifique.

Trois essais cliniques qui enterrent l'hydroxychloroquine

Les deux premiers essais sont des essais de grande taille (1561+3155 et 947+906 participants), sur des patients hospitalisés, dont le résultat est le taux de mortalité à 28 jours. Le premier est l'essai Recovery mené par l'Université d'Oxford et se concentre sur des cas graves. Le second est l'essai Solidarity de l'Organisation mondiale de la Santé et s'intéresse à des cas moins graves.

Le tableau ci-dessous regroupe les résultats de l'essai Recovery d'Oxford, présentés dans cet article, en ligne depuis le mois de Juillet 2020, et publié le 8 Octobre 2020.

Groupe avec hydroxychloroquine (N=1561) Groupe contrôle (N=3155)
Âge moyen 65.2 ± 15.2 65.4 ± 15.4
Sexe 61.5% H 62.6% H
Ethnicité 75.7% Blanc 72.8% Blanc
Antécédents 56.5% 57.3%
Mortalité sous 28 jours 27.0% 25.0%

Le traitement à base d'hydroxychloroquine ne permet pas de baisser le taux de mortalité.

Regardons maintenant un autre tableau, qui détaille les résultats de l'essai Solidarity de l'OMS, exposés dans cet article en ligne depuis le 15 Octobre 2020, dont on attendait les résultats depuis le mois de Mai, lorsque l'OMS avait annoncé qu'elle stoppait les essais sur l'hydroxychloroquine, décision confirmée au mois de Juillet.

Groupe avec hydroxychloroquine (N=947) Groupe contrôle (N=906)
Âge > 50 64.6% 65.0%
Sexe 60.6% H 59.1% H
Ethnicité 59.6% Afrique/Asie 59.9% Afrique/Asie
Antécédents 53.9% 57.9%
Mortalité sous 28 jours 11.0% 9.27%

Encore une fois, le traitement à base d’hydroxychloroquine ne permet pas de baisser le taux de mortalité.

Le troisième et dernier essai est un essai de moyenne taille (414+407), sur des patients « contact » négatifs au début de l'essai et non hospitalisés, dont le but est de tester si l'hydroxychloroquine influence la contraction de la Covid-19. Le résultat est un test PCR après 14 jours. L'essai a été mené aux États-Unis et au Canada. Les résultats ci-dessous proviennent de cet article, publié le 3 Juin 2020.

Groupe avec hydroxychloroquine (N=414) Groupe contrôle (N=407)
Âge médian 41 40
Sexe 52.7% F 50.6% F
Ethnicité Non renseigné Non renseigné
Antécédents 26.1% 28.7%
Positif à 14 jours 11.8% 14.3%

Le traitement à base d’hydroxychloroquine n'a pas d'influence statistiquement significative sur la contraction de la maladie.

Conclusion

Après plusieurs mois de recherche intensive, les scientifiques se sont mis d'accord : l'hydroxychloroquine ne permet pas de soigner ou de prévenir la Covid-19. D'ailleurs, son autorisation de mise en urgence sur le marché a été retirée dès la fin du mois de Mai 2020 dans l'Union Européenne, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

J'étais aux États-Unis jusqu'au début de l'automne, et j'avoue que la passion française derrière l'hydroxychloroquine est toujours un mystère pour moi. Les seules explications que je vois sont (1) le manque de visibilité des médias anglo-saxons et des revues scientifiques spécialisées (qui sont exclusivement en anglais) en France, (2) une sorte de patriotisme qui a poussé l'opinion publique à défendre de façon irrationnelle un chercheur Français, et (3) une défiance vis-à-vis du gouvernement et de la science.

Notes

[1] Le Professeur Raoult est devenu une figure centrale des théories complotistes. Il a notamment cité plusieurs fois des conflits d'intérêt au sein du Conseil scientifique Covid-19 pour justifier les actions du gouvernement contre l'hydroxychloroquine. Selon une des théories, vu que l'hydroxychloroquine est bon marché et existe déjà, les laboratoires privés pourraient se faire beaucoup plus d'argent en vendant un nouveau médicament qu'ils développeraient spécifiquement pour la Covid-19.

[2] Je suis chercheur en mathématiques appliquées. J'utilise des méthodes mathématiques pour résoudre des problèmes dans des domaines variés dont, par example, la physique, la biologie et l'intelligence artificielle. Lire des articles scientifiques en anglais qui ne sont pas forcément dans mon domaine de prédilection est mon métier.

[3] Il est indiqué dans l'article que six patients qui avaient commencé le traitement avec l'hydroxychloroquine ont finalement été retirés de l'essai ; l'un d'entre eux est décédé.


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